Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/269

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rend l’homme raisonnable fait conversation ; car la raison ne constitue pas non plus toute l’essence de l’homme, ce sont les animaux raisonnables qui font conversation entre eux.

Théophile. Je crois que vous avez raison : car les objets des idées abstraites et incomplètes ne suffisent point pour donner des sujets de toutes les actions des choses. Cependant je crois que la conversation convient à tous les esprits, qui se peuvent entrecommuniquer leurs pensées. Les scolastiques sont fort en peine comment les anges le peuvent faire : mais s’ils leur accordaient des corps subtils, comme ja fais après les Anciens, il ne resterait plus de difficulté là-dessus.

§ 22. PHILALÈTE. Il y a des créatures qui ont une forme pareille à la nôtre, mais qui sont velues et n’ont point l’usage de la parole et de la raison. Il y a parmi nous des imbéciles, qui ont parfaitement la même forme que nous, mais qui sont destitués de raison et quelques-uns d’entre eux n’ont point l’usage de la parole. Il y a des créatures, à ce qu’on dit, qui avec l’usage de la parole et de la raison, et une forme semblable en toute autre chose à la nôtre, ont des queues velues : au moins il n’y a point d’impossibilité qu’il y ait de telles créatures. Il y en a d’autres dont les mâles n’ont point de barbe, et d’autres dont les femelles en ont. Quand on demande si toutes ces créatures sont hommes, ou non ; si elles sont d’espèce humaine, il est visible que la question se rapporte uniquement à la définition nominale, ou à l’idée complexe que nous nous faisons pour la marquer par ce nom : car l’essence intérieure nous est absolument inconnue, quoique nous ayons lieu de penser que là où les facultés ou bien la figure extérieure sont si différentes, la constitution intérieure n’est pas la même.

Théophile. Je crois que dans le cas de l’homme nous avons une définition qui est réelle et nominale en même temps. Car rien ne saurait être plus interne à l’homme que la raison et ordinairement elle se fait bien connaître. C’est pourquoi la barbe et la queue ne seront point considérées auprès d’elle. Un homme sylvestre, bien que velu, se fera reconnaître ; et le poil d’un magot n’est pas ce qui le fait exclure. Les imbéciles manquent de l’usage de la raison ; mais comme nous savons par expérience qu’elle est souvent liée et ne peut point paraître, et que cela arrive à des hommes qui en ont montré et en montreront, nous faisons vraisemblablement le même jugement de ces imbéciles sur d’autres indices, c’est-à-dire sur la figure corporelle. Ce n’est que par ces indices, joints à la nais-