Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/40

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de Gassendi[1], éclaircis par M. Bernier[2], plus faciles et plus naturels. Maintenant je me sens extrêmement fortifié par l’excellent ouvrage qu’un illustre Anglais, que j’ai l’honneur de connaître particulièrement, a publié depuis, et qu’on a réimprimé plusieurs fois en Angleterre sous le titre modeste d'Essai concernant l’Entendement humain. On assure même qu'il paraît depuis peu en latin et en français ; de quoi je suis bien aise, car il peut être d'une utilité plus générale. J’ai fort profité de la lecture de cet ouvrage, et même de la conversation de l’auteur, que j’ai entretenu souvent à Londres et quelquefois à Oates, chez Milady Masham[3], digne fille du célèbre M. Cudworth[4], grand philosophe et théologien anglais, auteur du Système intellectuel dont elle a hérité l’esprit de méditation et l’amour des belles connaissances, qui paraît plus particulièrement par l’amitié qu’elle entretient avec l’auteur dudit Essai ; et comme il a été attaqué par quelques docteurs de mérite, j’ai pris plaisir à lire aussi l’apologie qu’une demoiselle fort sage et fort spirituelle a faite pour lui, outre celles qu’il a faites lui-même.

En gros, il est assez dans le système de M. Gassendi, qui est, dans le fond, celui de Démocrite. Il est pour le vide et pour les atomes ; il croit que la matière pourrait penser, qu’il n’y a point d’idées innées, que notre esprit est tabula rasa, et que nous ne pensons pas toujours ; et il paraît d’humeur à approuver la plus grande partie des objections que M. Gassendi a faites à M. Descartes. Il a enrichi et renforcé ce système par mille belles réflexions ; et je ne doute point que maintenant notre parti ne triomphe hautement de ses adversaires, les péripatéticiens et les cartésiens. C’est pourquoi, si vous n’avez pas encore lu ce livre, je vous y invite ; et si vous l’avez lu, je vous supplie de m’en dire votre sentiment.

Théophile. Je me réjouis de vous voir de retour après une longue absence, heureux dans la conclusion de votre importante affaire, plein de santé, ferme dans l’amitié pour moi, et toujours porté avec une ardeur égale à la recherche des plus importantes vérités. Je n’ai pas moins

  1. Gassendi (1592-1655) défendit l'épicurisme, en particulier dans son ouvrage : Syntagma philosophiæ Epicuri.
  2. François Brnier, philosophe et voyageur se fit connaître surtout dans son ouvrage, en huit volumes intitulé Abrégé de la philosophie de Gassendi.
  3. Lady Masham fut une des amies les plus fidèles de Locke. Leibniz reçut d'elle l'ouvrage de son père : Systema intellectuale hujus universi.
  4. Ralph Cudworth, philosophe platonicien et latitudinaire, défendit le théisme dans : le Vrai système intellectuel ; Londres, 1678.