Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/41

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mes méditations dans le même esprit ; et je crois d’avoir profité aussi autant et peut-être plus que vous, si je ne me flatte pas. Aussi en avais-je plus besoin que vous, car vous étiez plus avancé que moi. Vous aviez plus de commerce avec les philosophes spéculatifs, et j’avais plus de penchant vers la morale. Mais j’ai appris de plus en plus combien la morale reçoit d’affermissement des principes solides de la véritable philosophie, c’est pourquoi je les ai étudiés depuis avec plus d’application, et je suis entré dans des méditations assez nouvelles. De sorte que nous aurons de quoi nous donner un plaisir réciproque de longue durée en communiquant l’un à l’autre nos éclaircissements. Mais il faut que je vous dise pour nouvelle, que je ne suis plus cartésien, et que cependant je suis éloigné plus que jamais de votre Gassendi, dont je reconnais d’ailleurs le savoir et le mérite. J’ai été frappé d’un nouveau système, dont j’ai lu quelque chose dans les Journaux des savants de Paris, de Leipzig et de Hollande, et dans le merveilleux Dictionnaire de M. Bayle, article de Rorarius ; et depuis je crois voir une nouvelle face de l’intérieur des choses. Ce système paraît allier Platon avec Démocrite, Aristote avec Descartes, les scolastiques avec les modernes, la théologie et la morale avec la raison. Il semble qu’il prend le meilleur de tous côtés, et que puis après il va plus loin qu’on n’est allé encore. J’y trouve une explication intelligible de l’union de l’âme et du corps, chose dont j’avais désespéré auparavant. Je trouve les vrais principes des choses dans les unités de substance que ce système introduit, et dans leur harmonie préétablie par la substance primitive. J’y trouve une simplicité et une uniformité surprenantes, en sorte qu’on peut dire que c’est partout et toujours la même chose, aux degrés de perfection près. Je vois maintenant ce que Platon entendait, quand il prenait la matière pour un être imparfait et transitoire ; ce qu’Aristote voulait dire par son entéléchie ; ce que c’est que la promesse que Démocrite même faisait d’une autre vie, chez Pline ; jusqu’où les sceptiques avaient raison en déclamant contre les sens, comment les animaux sont des automates suivant Descartes, et comment ils ont pourtant des âmes et du sentiment selon l’opinion du genre humain. Comment il faut expliquer raisonnablement ceux qui ont mis vie et perception en toutes choses,