Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/55

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opposez la considération de la chose à l’aperception de ce qui est gravé dans l’esprit, cette objection même fait voir, Monsieur, que ceux dont vous prenez le parti n’entendent par les vérités innées que ce qu’on approuverait naturellement comme par instinct et même sans le connaître que confusément. Il y en a de cette nature et nous aurons sujet d’en parler. Mais ce qu’on appelle la lumière naturelle suppose une connaissance distincte, et bien souvent la considération de la nature des choses n’est autre chose que la connaissance de la nature de notre esprit et de ces idées innées, qu’on n’a point besoin de chercher au-dehors. Ainsi j’appelle innées les vérités qui n’ont besoin que de cette considération pour être vérifiées. J’ai déjà répondu, § 5, à l’objection, § 22, qui voulait que lorsqu’on dit que les notions innées sont implicitement dans l’esprit, cela doit signifier seulement qu’il a la faculté de les connaître ; car j’ai fait remarquer qu’outre cela, il a la faculté de les trouver en soi, et la disposition à les approuver quand il y pense comme il faut.

§ 23. Philalèthe. Il semble donc que vous voulez, Monsieur, que ceux à qui on propose ces maximes générales pour la première fois n’apprennent rien qui leur soit entièrement nouveau. Mais il est clair qu’ils apprennent premièrement les noms, et puis les vérités et même les idées dont ces vérités dépendent.

Théophile. Il ne s’agit point ici des noms, qui sont arbitraires en quelque façon, au lieu que les idées et les vérités sont naturelles. Mais quant à ces idées et vérités, vous nous attribuez, Monsieur, une doctrine dont nous sommes fort éloignés, car je demeure d’accord que nous apprenons les idées et les vérités innées, soit en prenant garde à leur source, soit en les vérifiant par l’expérience. Ainsi je ne fais point la supposition que vous dites, comme si, dans le cas dont vous parlez, nous n’apprenions rien de nouveau. Et je ne saurais admettre cette proposition : tout ce qu’on apprend n’est pas inné. Les vérités des nombres sont en nous, et on ne laisse pas de les apprendre, soit en les tirant de leur source lorsqu’on les apprend par raison démonstrative (ce qui fait voir qu’elle sont innées), soit en les éprouvant dans des exemples comme font les arithméticiens vulgaires, qui faute de savoir les raisons n’apprennent leurs règles que par tradition, et tout au plus, avant que de les enseigner, ils les justifient par l’expérience, qu’ils poussent aussi loin qu’ils jugent à propos. Et quelquefois même un fort habile mathématicien, ne sachant point la source de la découverte d’autrui, est obligé de se contenter de cette méthode