Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/135

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aux autres formes de la tristesse, il y en a trois que Chateaubriand a réellement connues et profondément exprimées. D’abord l’amour de la solitude, afin de mieux jouir du spectacle de ses propres sensations, et qui se confond donc un peu avec le « narcissisme ». Puis la misanthropie, celle du Jacques de Shakspeare, celle d’Hamlet çà et là, celle de l’Oreste de Racine, celle de Werther. Enfin, la mélancolie charmante, qui jouit mieux de l’éphémère parce qu’il est éphémère et à cause de la difficulté que nous avons à concevoir un plaisir éternel ; la mélancolie qui consiste à trouver sa propre tristesse intéressante, touchante, la mélancolie qui nous fait faire plus d’attention à nos sensations agréables en nous les montrant plus fugitives et en y mêlant doucement, sans brutalité et sans une vision trop concrète, l’idée de la mort ; la mélancolie que La Fontaine a si justement placée dans son énumération des voluptés :

 Il n’est rien
 Qui ne me soit souverain bien,
 Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.

Cette mélancolie, ah ! oui, Chateaubriand l’a connue, et aussi la misanthropie, et l’amour de la solitude.

Mais la pire forme de la tristesse, qui est sans doute l’ennui, je doute qu’il en ait fait sérieusement l’expérience. Il a beau dire partout qu’il « bâille sa vie », ce n’est qu’une phrase. Il me paraît