Aller au contenu

Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

impossible qu’un homme d’un si fort tempérament, si « bon garçon » et d’une gaieté si facile avec ses amis ; qui a tant écrit et qui a été tellement possédé de la manie d’écrire ; dont la vie est une si superbe « réussite » ; qui a tant joui, non seulement de sa gloire, mais de ses titres et de ses honneurs ; qui a joui avec tant de surabondance et si naïvement d’être ministre ou ambassadeur ; et qui d’ailleurs a exprimé son ennui par un choix de mots et avec un éclat dont il se savait si bon gré ; il me paraît impossible que cet homme-là se soit ennuyé beaucoup plus que le commun des hommes.

L’homme qui s’est ennuyé, c’est Senancour.

Sainte-Beuve, en analysant les Rêveries de Senancour (1798) dit que « le monde de René a été découvert quatre ans avant René, par celui qui n’a pas eu l’honneur de le nommer. » Et cela est vrai. Senancour est bien autrement intelligent (au sens strict du mot) que Chateaubriand. Il a donné du mal de René des définitions autrement précises et profondes. Je regrette de trouver en lui un anticatholicisme si marqué (nullement intolérant d’ailleurs et qui ne voudrait enlever à personne l’aide ou la consolation d’une foi religieuse) : mais c’est un esprit vigoureux et vraiment libre. Il est plein de pensées. Sa vie, du reste, comprimée, contrainte, et qui est une suite de malheurs obscurs, est mieux faite que la vie émouvante et brillante de Chateaubriand pour nourrir le