Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/240

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morale de Blanca, d’Aben-Hamet, de Lautrec et de Carlos, est la morale de l’honneur. L’honneur est le profond respect de soi et de ses ancêtres. Changer de religion, ce serait se démentir soi-même, et démentir les aïeux qui vous ont légué la religion où vous avez été élevé. Ce serait manquer de fidélité, et manquer aussi d’orgueil. L’honneur sera l’unique règle morale de Chateaubriand. De même qu’Aben-Hamet, qui a songé à se faire chrétien, demeure musulman, parce qu’il se croirait diminué si on le voyait changer, donc se renoncer, ainsi Chateaubriand, que la Révolution secrètement séduit, — après avoir été par honneur émigré et soldat de l’armée des princes, — conservera aux Bourbons, pour garder sa vie extérieurement harmonieuse, une fidélité pleine de reproches, une fidélité insupportable de se sentir si méritoire…

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Or, après le grand succès de l’Itinéraire, Chateaubriand est décidément, dans l’opinion, le premier écrivain de France. Il l’est aux yeux même de l’empereur. Il plaît à l’empereur à cause du secours qu’il lui a apporté dans le rétablissement de l’ordre, et à cause de la majesté et de l’emphase fréquente de son style, et de sa profusion de souvenirs classiques. Au moment de l’article du Mercure (1807) l’empereur avait dit, paraît-il, de Chateaubriand : « Je le ferai sabrer sur les marches des Tuileries » ; mais il avait dû goûter, pour le ton