Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/284

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Mémoires, que lirait-on de Chateaubriand ? Car on lit bien peu le Génie et les Martyrs. Rousseau et Chateaubriand ne nous seraient même pas connus à moitié, et ce serait dommage. Car ce qui est le plus intéressant en eux, ce ne sont pas leurs idées, ce ne sont point les vérités qu’ils ont cru trouver, ce n’est point ce qu’ils ont pensé du monde, mais ce qu’ils en ont senti : c’est leur sensibilité, c’est leur imagination, c’est leur personne même.

Et, au fond, c’était bien aussi leur avis. Et c’est pourquoi, après s’être exprimés quelque temps à travers des opinions ou des fictions, enfin ils n’ont pu y tenir et se sont exprimés directement, parce que rien au monde ne leur paraissait plus passionnant qu’eux-mêmes. Rousseau, pour être heureux, devait écrire les Confessions ; Chateaubriand, pour être heureux, devait écrire les Mémoires. Et chacun d’eux a consacré à cette tâche délicieuse une très grande partie de son existence, Rousseau quinze ans, Chateaubriand près de quarante ans (avec des interruptions sans doute, mais qui ne les empêchaient point d’y penser toujours). Et c’est leur œuvre principale, leur grande œuvre, et qui nous rend bien pâle et presque indifférent le reste de leurs ouvrages. Et, sans doute, ces confessions et ces mémoires n’ont pas, si vous le voulez, la beauté d’une tragédie de Racine ou d’un sermon de Bossuet ; ils constituent de monstrueux exemplaires de la littérature subjective ; mais