Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/286

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au même sens spirituel, que Jean-Jacques est né de Fénelon et d’une chambrière).

Et Chateaubriand eut deux fois raison, pour lui-même, d’écrire ses Mémoires : car il y trouve le genre qui convenait le mieux à son génie, et une source inépuisable de joie.

Ce n’est point, en effet, par la pensée qu’il est éminent et rare. Ce n’est pas non plus par le don de créer et de faire agir des personnages différents de lui, à la façon des grands dramaturges et des grands romanciers. Dans les Natchez, dans le Génie, dans les Martyrs, ce qu’il y a de plus vivant, ce sont les descriptions et les souvenirs de sensations personnelles, — et c’est (avec Atala, Amélie et Velléda, qui sont des sœurs de sa sœur Lucile), — Chactas, René et Eudore, qui ne sont que des images de lui-même. Or, dans les Mémoires, il n’aura qu’à se peindre directement, sans nulle fiction interposée entre lui et nous, dans ses rapports avec les choses et les hommes et dans les impressions qu’il en reçoit. Il écrira librement l’histoire de sa sensibilité. Lorsque, à tout bout de champ, il nous énumère les personnages de ses romans, qu’il appelle ses fils et ses filles, nous sommes tentés de les juger assez pâles et convenus : mais les êtres réels, les hommes de son temps, ceux qu’il a rencontrés dans la vie, il les peindra de la façon la plus âpre, la plus passionnée, la plus brutale ou la plus aiguë ; et ce médiocre « créateur d’âmes » (à mon avis) fera d’étonnants portraits de