Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/287

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ses contemporains. C’est que ceux-là, il les a vus, il a souffert par eux, ou par eux il s’est amusé ; il a pu les aimer ou les haïr. En les peignant, il exprime encore une disposition de son esprit. Et, à côté des portraits, il y a les récits des événements auxquels il a assisté, qu’il a vus de ses yeux, qu’il croit souvent avoir dirigés. Il y a ses impressions de voyage. Il y a ses rêveries, ses visions, ses colères, ses rancunes. Lui, toujours lui. Il est clair que, pour exprimer tout cela, son génie propre excelle, et son génie propre suffit. Il a le don des images et la sensibilité la plus voluptueuse et la plus absorbante : et c’est tout justement ce qu’il faut ici. Les Mémoires sont précisément le genre où il pouvait avoir tout son génie, et en jouir, et nous en faire jouir nous-mêmes. Et les Mémoires sont, en effet, un grand chef-d’œuvre, le plus divertissant et le plus éclatant qui soit, et aussi magnifique que sont douloureuses et poignantes les Confessions, l’autre chef-d’œuvre.

Et ces Mémoires, Chateaubriand les a conçus, sentis, écrits avec tant de plaisir ! Un plaisir qui a duré la moitié de sa vie. Il dit dans l’Avant-propos de 1846, deux ans avant de mourir : « Ces Mémoires ont été l’objet de ma prédilection. Saint Bonaventure obtint du ciel la permission de continuer les siens après sa mort ; je n’espère pas une telle faveur, mais je désirerais ressusciter à l’heure des fantômes pour corriger au moins les épreuves. »

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