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Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/289

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il s’accommodera aux goûts et aux idées des générations nouvelles, et il s’arrangera pour qu’on croie qu’il les a devancées, alors que souvent il les suit. Il tiendra beaucoup à ce qu’on sache qu’il a joué, par magnanimité pure, un rôle de fidélité monarchique ; qu’il a l’esprit le plus libre ; qu’il n’eut jamais d’illusion ni sur les Bourbons, ni sur leur avenir ; et il prendra délicieusement, dans ses Mémoires, sa revanche de sa fidélité. Il aura le plaisir de se montrer encore supérieur à sa destinée et, en même temps, de paraître détaché de lui-même par l’idée de la mort et d’étaler partout une sublime tristesse. Il aura le plaisir de dire continuellement qu’il méprise les hommes et qu’il ne croit à rien, « la religion exceptée », et goûtera ainsi, tout en se disant chrétien, les délices antichrétiennes de l’orgueil et du plus voluptueux pessimisme. Et, comme sa gloire augmente avec son âge, et que l’on sait qu’il écrit ses souvenirs, et qu’en 1836 une société lui en offre 250.000 francs, lui paye ses dettes, et lui garantit une rente viagère de 12.000 francs, et qu’en 1844 Émile de Girardin lui paye 96.000 francs le droit de publier ses Mémoires après sa mort dans le journal La Presse, il en résulte cette situation unique, que le plus grand plaisir qu’il puisse goûter, le plaisir de se peindre lui-même selon son gré et pour sa plus grande gloire, ce plaisir, littéralement, le fait vivre, le nourrit et l’habille ; qu’il est payé d’avance pour écrire son