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Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/288

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quand il était obligé d’en interrompre la rédaction, il y pensait toujours. Ils étaient son délice, sa consolation, son refuge, sa gloire, sa vengeance. Il y façonnait sa propre figure, telle qu’il voulait qu’elle apparût à la postérité. Il ne s’y donnait que des défauts avantageux et fiers. S’il avait eu dans sa vie des déceptions, il les tournait en victoires, ou il les expliquait par sa grandeur d’âme. Si les événements lui donnaient tort, il n’était pas embarrassé de prouver qu’il avait eu raison. Comme la rédaction de ses Mémoires, et les corrections, et les retouches, ont duré en réalité une quarantaine d’années, et qu’il racontait sa participation à tel événement dix, vingt, trente ans après l’événement lui-même, il pouvait composer d’après l’intérêt du présent son attitude du passé, et se donner aussi l’air d’avoir tout compris, tout deviné, tout prévu. Sa carrière politique et diplomatique a été, en somme, incomplète et d’un éclat secondaire : un court ministère et trois courtes ambassades, c’est à peu près tout. Mais comme cela s’amplifiera dans ses Mémoires ! Là, il sera le grand homme d’État qu’il a rêvé d’être ; et ce que sa carrière a eu de borné s’expliquera par sa supériorité même, par ses dédains, par l’ombrage que donnait son génie. S’il méprisait l’argent (et il le méprisait) ; s’il a été généreux (et il l’a été) ; s’il a eu de beaux mouvements désintéressés (et il en a eu), il est sûr au moins qu’on le saura, car il le rappellera plutôt dix fois qu’une. Imperceptiblement