il est vraiment unique de son espèce, comme Napoléon ; qu’avec tout cela rien n’est important à ses yeux, et qu’il n’aspire qu’à la mort, et que, jusqu’à quatre-vingts ans, il n’a pas fait autre chose… Et cela est souvent de l’orgueil, si l’orgueil consiste à se glorifier des choses qui en valent la peine : mais c’est bien souvent aussi vanité, et qu’on n’ose pas qualifier comme elle le mériterait.
Plus encore que J.-J. Rousseau, il a la manie de s’ébahir de sa propre destinée. Il est assez naturel, n’est-ce pas ? qu’un jeune gentilhomme breton ait navigué, qu’il ait émigré, qu’il ait, pendant la Révolution, connu des jours de détresse… Il est assez naturel qu’ayant un grand talent, il ait écrit des livres qui ont eu du succès, et que, après la Restauration, il ait occupé quelques grandes places. À cela se réduit, en effet, la destinée de Chateaubriand. Il y a des vies bien autrement pleines d’imprévu, vies d’aventuriers ou de matelots, ou simplement vies de pauvres diables… Or, qu’il ait été pauvre, à Londres, dans sa jeunesse, et qu’il y retourne, dans son âge mûr, comme ambassadeur, Chateaubriand n’en revient pas. Écoutez ce début du livre VI de la première partie :
Trente et un ans après m’être embarqué, simple sous-lieutenant, pour l’Amérique, je m’embarquai pour Londres avec un passe-port conçu en ces termes : « Laissez passer Sa Seigneurie le vicomte de Chateaubriand, pair de France, ambassadeur du roi près de Sa