Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/310

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de l’Orient et de l’aventure d’Alexandre. Il reconnaît en lui un frère de rêve qui a mal tourné :

… À peine a-t-il mis l’Italie sous ses pieds qu’il paraît
 en Égypte ; épisode romanesque dont il agrandit sa vie réelle.
 Comme Charlemagne, il attache une épopée à son histoire. Dans
 la bibliothèque qu’il emporta se trouvaient : Ossian, Werther,
 la Nouvelle Héloïse et le Vieux Testament : indication du
 chaos de la tête de Napoléon. Il mêlait les idées positives
 et les sentiments romanesques, les systèmes et les chimères,
 les études sérieuses et les emportements de l’imagination, la
 sagesse et la folie. De ces productions incohérentes du siècle,
 il tira l’Empire ; songe immense, mais rapide comme la nuit
 désordonnée qui l’avait enfanté.

Et encore :

 Durant la traversée, Bonaparte se plaisait à réunir les savants
 et provoquait leurs disputes ; il se rangeait ordinairement à
 l’avis du plus absurde ou du plus audacieux ; il s’enquérait si
 les planètes étaient habitées, quand elles seraient détruites
 par l’eau ou par le feu, comme s’il eût été chargé de
 l’inspection de l’armée céleste.

En somme, Chateaubriand doit à Napoléon ses plus belles phrases et ses images les plus surprenantes. Et il était si heureux de les trouver, et de les entasser, et d’en trouver encore, que cela lui devenait égal de paraître attribuer à son ennemi, tout en le maudissant, une grandeur surnaturelle. Rien de plus magnifique, ni qui soit d’