Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/318

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solennel et un peu tendu dans ses livres, il était facilement, dans la conversation, libre, familier, et même, à l’occasion, assez vert. Il avait ses vertus, nous le savons : bonté, désintéressement, mépris de l’argent, sentiment jaloux de l’honneur. Mais la conscience qu’il avait de ses vertus le rendait fort indulgent pour lui-même et peu attentif à ses propres sottises.

Son ami Joubert a très bien vu cela dans une lettre célèbre, que j’ai déjà citée à propos de Jean-Jacques Rousseau, à qui elle s’applique aussi parfaitement. (Je n’oublie point que Jean-Jacques est une âme beaucoup plus souillée que Chateaubriand : mais l’illusion définie par Joubert est bien la même chez l’un et chez l’autre.) « Il y a, dit Joubert, dans le fond de ce cœur, une sorte de bonté et de pureté qui ne permettra jamais à ce pauvre garçon, j’en ai bien peur, de connaître et de condamner les sottises qu’il aura faites, parce qu’à la conscience de sa conduite, qui exigerait des réflexions, il opposera toujours le sentiment de son essence, qui est fort bonne. » Que cela est admirablement dit ! et que cela explique de choses, non seulement chez Jean-Jacques ou René, mais chez la plupart des hommes !

Ce Joubert fut assurément le plus distingué des amis de Chateaubriand, qui a fait de lui un portrait amusant et tendre. Cet inspecteur général de l’Université, grand, sec, avec un nez pointu, était un vieil « original », plein de tics délicats et de manies angéliques. Il