Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/38

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on ne voyait que fourgons remplis de comestibles ; on n’apercevait que cuisiniers, valets, aides de camp. » Le « camp indigent et obscur » se composait de gentilshommes pauvres classés par provinces et servant en qualité de simples soldats, qui détestent l’autre camp, celui des élégants et des gentilshommes de cour. Ainsi, la partie rurale et pauvre de l’armée des émigrés avait pour l’autre partie quelques-uns des sentiments des révolutionnaires eux-mêmes. En somme, cette armée ne semble pas avoir eu la foi.

Chateaubriand raconte tout cela fort gaiement. « Nous surgîmes invaincus à Thionville, car chemin faisant nous ne rencontrâmes personne. » Monsieur et le comte d’Artois se montrent, font la reconnaissance de la place, somment en vain Wimpfen, et disparaissent. Tout cela ne paraît pas très sérieux. On commence le siège, on fait quelques travaux et quelques démonstrations, on reçoit quelques bombes. On fait la cuisine, on lave son linge, on couche sous la tente. La vie est un peu dure, mais fort convenable à des hobereaux chasseurs. Derrière le camp s’est formée une espèce de marché ou de foire. Les paysans amènent des quartauts de vin ; on fait frire des saucisses et sauter des crêpes. Des paysannes vendent du lait. On boit et on mange ferme en racontant des histoires. « Cette vie de soldat, dit Chateaubriand, est très amusante ; je me croyais encore parmi les Indiens. »