Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/58

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roi de Prusse, et donne l’avantage à Jean-Jacques « pour la mesure ». Là, il se souvient que Héraclite et Rousseau furent persécutés… Et le voilà pyrrhonien par indignation : « Nous ne pouvons souffrir ce qui s’écarte de nos vues étroites, de nos petites habitudes… Ceci est bien, ceci est mal, sont les mots qui sortent sans cesse de notre bouche. De quel droit osons-nous prononcer ainsi ? Avons-nous compris le motif secret de telle action ? Misérables que nous sommes, savons-nous ce qui est bien, ce qui est mal ? »

Et un peu plus loin il redouble. Après avoir dit que les sages de la Grèce voulaient que le gouvernement découlât des mœurs, au lieu que nos philosophes veulent faire découler les mœurs du gouvernement (et ainsi « les premiers disaient aux peuples : Soyez vertueux, vous serez libres, et les seconds : Soyez libres, vous serez vertueux »), il s’enfonce de nouveau dans la négation. Les mœurs, dit-il, sont l’obéissance à ce « sens intérieur » qui nous montre l’honnête et le déshonnête, pour faire celui-là et éviter celui-ci. Mais ce sens intérieur, « qui sait jusqu’à quel point la société l’a altéré ? Qui sait si des préjugés, si inhérents à notre constitution que nous les prenons souvent pour la nature même, ne nous montrent pas des vices et des vertus là où il n’en existe pas ?… Si cette voix de la conscience n’était elle-même… ? Mais gardons-nous de creuser plus avant dans cet épouvantable abîme. »