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Page:Lemaître - Corneille et la Poétique d’Aristote, 1888.djvu/20

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ensuite aller si loin, comme ses dernières font qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de si haut. » Eh bien ! cela est sans doute vrai à première vue ; mais, si vous voulez profiter des lumières que fournit le critique pour pénétrer jusqu’au fond de l’esprit du poète, vous ne partagerez plus l’étonnement de la Bruyère ; vous serez beaucoup plus frappé de l’unité du théâtre de Corneille que de son inégalité ; vous sentirez très nettement que la beauté du Cid est déjà dans la Place Royale et que la bizarrerie de Suréna est déjà dans le Cid. Et je crois que vous admirerez d’autant plus le génie tout à fait singulier du vieux tragique, sa candeur, son amour du grand, sa passion de l’extraordinaire, sa sublimité et sa subtilité, un orgueil qui se manifeste de deux façons presque contraires : car tantôt il se vante de faire ce que nul n’avait osé avant lui, et tantôt il se pique d’observer plus rigoureusement que personne les « règles », les fameuses règles ; un esprit tour à tour emporté par les plus belles audaces et paralysé par les respects les plus superstitieux ; bref, un génie complexe et qui ne se connaît pas bien lui-même ; sublime, oui (c’est le mot qui revient toujours quand on parle de lui), mais avec quelles inintelligences et quelles étranges puérilités ! Je puis bien le dire sans être impie ; car nous l’aimons comme cela, et ses vastes imperfections nous font mieux sentir ce qu’il y a de spontané, d’involontaire et de divin dans un pareil génie.

Prenons donc d’abord les trois Discours. Corneille