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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/195

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mon cœur n’a jamais résisté. L’habit de cour, si favorable aux jeunes personnes, marquait sa jolie taille, dégageait sa poitrine et ses épaules, et rendait son teint encore plus éblouissant par le deuil qu’elle portait alors. On dira que ce n’est pas à un domestique de s’apercevoir de ces choses-là (phrase pénible)… A table, j’étais attentif à chercher l’occasion de me faire valoir. Si son laquais quittait un moment sa chaise, à l’instant on m’y voyait établi : hors de là, je me tenais vis-à-vis d’elle, je cherchais dans ses yeux ce qu’elle allait demander, j’épiais le moment de changer son assiette. Que n’aurais-je point fait pour qu’elle daignât m’ordonner quelque chose, me regarder, me dire un seul mot ! Mais point ; j’avais la mortification d’être nul pour elle ; elle ne s’apercevait pas même que j’étais là.

Une fois pourtant, et une autre fois encore, il attire son attention, et dans des conditions flatteuses pour lui : « Elle jeta les yeux sur moi. Ce coup d’œil, qui fut court, ne laissa pas de me transporter. » Et la seconde fois :

Ce moment fut court, mais délicieux, à tous égards… Quelques minutes après, mademoiselle de Breil, levant derechef les yeux sur moi, me pria, d’un ton de voix aussi timide qu’affable, de lui donner à boire. On juge que je ne la fis pas attendre ; mais en approchant, je fus saisi d’un tel tremblement qu’ayant trop rempli le verre, je répandis une partie de l’eau sur l’assiette et même sur elle. Son frère me demanda étourdiment pourquoi je tremblais si fort. Cette question ne servit pas à me rassurer, et mademoiselle de Breil rougit jusqu’au blanc des yeux.

Ruy Blas… c’est bien Ruy Blas, Ruy Blas