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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/30

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et je l’accusai d’avoir fait ce que je voulais faire et de m’avoir donné le ruban, parce que mon intention était de le lui donner… Quand je la vis paraître ensuite, mon cœur fut déchiré, mais la présence de tant de monde fut plus forte que mon repentir. Je ne craignais pas la punition : je ne craignais que la honte, mais je la craignais plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J’aurais voulu m’enfoncer dans le centre de la terre : l’invincible honte l’emporta sur tout ; la honte seule fit mon impudence, et plus je devenais criminel, plus l’effroi d’en convenir me rendait intrépide. Je ne voyais que l’horreur d’être reconnu, déclaré publiquement, moi présent, voleur, menteur, calomniateur. Un trouble universel m’ôtait tout autre sentiment.

(Quelques difficultés subsistent sur cette anecdote. Il s’agit d’un « petit ruban » et « vieux », qui par conséquent pouvait valoir quelques sols. Le comte de la Roque, neveu de madame de Vercellis, attacha si peu d’importance à l’histoire que, quelques semaines après, il procura à Jean-Jacques une place excellente… Jean-Jacques aurait-il dramatisé ? C’est ennuyeux, avec lui on ne sait jamais. Ce qui est sûr, c’est qu’il mène un terrible repentir… Il assure que le désir de se soulager par cet aveu a beaucoup contribué à la résolution qu’il a prise d’écrire ses confessions ; et, dans un premier manuscrit de ces mêmes Confessions, il va jusqu’à dire qu’il considère la calomnie de David Hume sur son compte, trente ans après, comme le châtiment direct du mensonge qu’il fit lui-même contre la pauvre Marion.)