Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/39

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sociale. Elle se disait, avec cela, de tempérament froid. Bref, elle était en amour un homme, — un peu comme notre George Sand, mais moins décemment : car madame de Warens ne redoutait pas d’être indulgente à plusieurs à la fois.

Rousseau l’a aimée profondément ; mais la nature de cette affection est bien marquée par les noms qu’ils se donnaient : « maman » et « petit ». La première fois qu’il la voit, elle a vingt-huit ans, il en a seize. C’est un petit vagabond totalement abandonné, très timide. Elle est la première femme élégante et belle, et riche (à ses yeux) qu’il ait rencontrée. Et tout de suite elle est bonne pour lui, et d’une bonté simple et maternelle. Elle tire ce petit malheureux du gouffre. Son premier sentiment pour elle, et qui durera longtemps, — c’est l’adoration.

Il faut relire le récit de leur première rencontre, car cela est délicieux :

C’était un passage derrière sa maison… Prête à entrer dans l’église, madame de Warens se retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue ! Je me figurais une vieille dévote bien réchignée ; la bonne dame de M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d’une gorge enchanteresse. Rien n’échappa au rapide coup d’œil du jeune prosélyte ; car je devins à l’instant le sien, sûr qu’une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener au paradis. Elle prend en souriant la lettre que je lui présente d’une main