Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/54

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ignorant et un peu fou[1]. Il dut se séparer de lui, sans pouvoir, dit-il, se faire payer ses appointements. De retour à Paris, il demande inutilement justice de son ambassadeur. Les refus qu’il éprouva (il faut dire que, tout en faisant fonction de secrétaire d’ambassade, il n’était que secrétaire de l’ambassadeur) laissèrent dans son âme, dit-il, « un germe d’indignation contre nos sottes institutions civiles, où le vrai bien public et la véritable justice sont toujours sacrifiés à je ne sais quel ordre apparent, destructif en effet de tout ordre, et qui ne fait qu’ajouter la sanction de l’autorité publique à l’oppression du faible et à l’iniquité du fort ».

C’est dommage. S’il avait pu s’entendre avec M. de Montaigu, si Rousseau, content d’être quelqu’un de classé et d’officiel avait pu poursuivre sa carrière diplomatique (et il est probable que ses puissantes amies de Paris l’eussent fait avancer rapidement), il eût pris goût de plus en plus à sa profession, il eût envoyé à son ministre des rapports d’un style admirable ; il se fût adonné à l’économie politique pour laquelle il avait du penchant, mais il n’y eût pas cassé les vitres ; il n’eût pas écrit l’Inégalité, l’Émile ni le Contrat, et

  1. J’ai reçu de M. Aug. de Montaigu une brochure intitulée : Démêlés du comte de Montaigu, ambassadeur à Venise, avec son secrétaire, J.-J. Rousseau (Plon-Nourrit, 1904). M. Aug. de Montaigu y démontre, par des pièces des archives de Venise, que Rousseau a chargé injustement son ambassadeur, qu’il ne fut pas un secrétaire irréprochable, qu’il fit, notamment, de la contrebande, et qu’il fut congédié par le comte de Montaigu.