Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous y aurions perdu au point de vue littéraire, mais nous y aurions gagné à quelques autres égards, et il n’eût pas épousé Thérèse Levasseur.

Mais achevons les souvenirs vénitiens de Jean-Jacques.

Dans cette ville d’amours et de plaisirs, dans cette Venise de Casanova (qui s’y trouvait en même temps que Rousseau), la vie amoureuse de Jean-Jacques se réduit à peu. Le malheureux nous dit lui-même qu’il n’avait pas renoncé à ses habitudes honteuses. Sa seule rencontre effective, pendant ces dix-huit mois, est avec une personne qu’on appelait la Padoana. Une rencontre plus célèbre est avec Zulietta. Je vous renvoie au texte du récit ; mais je dois vous en citer du moins le commencement :

J’entrai dans la chambre d’une courtisane comme dans le sanctuaire

de l’amour et de la beauté… A peine eus-je connu, dans les premières familiarités, le prix de ses charmes et de ses caresses, que, de peur d’en perdre le fruit d’avance, je voulus me hâter de le cueillir. (Nous retrouvons ici la névrose que j’ai signalée l’autre jour.) Tout à coup, au lieu des flammes qui me dévoraient, je sens un froid mortel couler dans mes veines, et, prêt à me trouver mal, je m’assieds, et je pleure comme un enfant.

Ne nous y trompons pas : bonnes ou mauvaises, c’est peut-être la première fois qu’on ait écrit des paroles de ce sentiment, de cet accent, de cette couleur. Et, si je ne m’abuse, pour obtenir ce ton, il a fallu (Rousseau écrit cela à cinquante-cinq ans)