Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/140

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l’amour, déjà affinée au moyen âge par les romans de chevalerie et dans les cours d’amour, reçoit son achèvement dans les salons « précieux ». L’amour n’y est maître que de vertus et professeur que d’héroïsme. L’aimable fou que ce Timocrate, et le chercheur exquis de midi à quatorze heures ! Il a conquis, comme parfait amoureux, le cœur de la princesse Ériphile ; il n’aurait qu’à le cueillir. Mais il veut encore le mériter comme héros et grand capitaine ; et c’est pourquoi, à peine élevé au trône par la mort de son père, il vient assiéger, sans le lui dire, la ville de celle qu’il adore. Et certes, « la galanterie est rare ». Quand, Timocrate et Cléomène à la fois, il s’est empêtré dans son double rôle, c’est bien simple, il se tire d’affaire en étant sublime, « en immolant, comme il le dit, l’amour même à l’amour ». Et nous savons bien qu’en réalité il n’a rien sacrifié du tout, puisque Cléomène et Timocrate ne font qu’un, et que, donnant son amante au roi de Crète, c’est à lui-même qu’il la donne. Il s’amuse donc. Mais quel artiste ! Et quel grand cœur aussi ! L’amour est vraiment pour lui une religion, et une religion excitatrice de vertus. Il n’aime que pour orner son âme, et nous le voyons tout le temps préférer à la possession de sa maîtresse ce qui le rend digne de cette possession. Il fauche les rangs ennemis, égorge les deux rois alliés d’Argos, ses rivaux, et, l’instant d’après, épargne Nicandre, son troisième rival, afin d’être beau de diverses façons et, tour à tour, par sa