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Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/156

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romantiques. C’est déjà l’homme fatal, qui se croit victime de la société et du sort, marqué pour un malheur spécial, et qui s’enorgueillit de cette prédestination et qui, en même temps, s’en autorise pour se mettre au-dessus des lois. C’est déjà le réfractaire, le révolté aux déclamations frénétiques. Notez que Racine a pris Oreste avant le temps où il venge sur sa mère le meurtre de son père. Ce n’est pas encore l’homme poursuivi par les Furies. Ses Furies ne sont qu’en lui-même : c’est sa passion, son orgueil, les sombres plaisirs du désespoir, le goût de la mort…

J’ai mendié la mort chez des peuples cruels Qui n’apaisaient leurs dieux que du sang des mortels. Ils m’ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares De mon sang prodigué sont devenus avares.

Pylade lui dit, comme un ami de Werther dirait au héros de Gœthe :

Surtout je redoutais cette mélancolie Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie.

Oreste dit, comme pourrait dire René :

Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne ;

et, comme pourrait dire Antony :

Mon innocence enfin commence à me peser. Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance Laisse le crime en paix et poursuit l’innocence. De quelque part sur moi que je tourne les yeux, Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.

(La seule différence, c’est qu’Antony dirait : « qui condamnent la société » .)