Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/157

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Jusque dans la splendide déclamation par où commence l’accès de folie d’Oreste :

Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance. Oui, je te loue, ô Ciel, de ta persévérance. Appliqué sans relâche au soin de me punir, Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir Ta haine a pris plaisir à former ma misère. J’étais né pour servir d’exemple à ta colère, Pour être du malheur un modèle accompli. Eh bien, je meurs content et mon sort est rempli ;

jusque dans ces vers enragés, il y a à la fois une absurdité et une satisfaction de soi où les héros romantiques se reconnaîtraient. Une absurdité, ai-je dit : car ce malheur insigne, unique, pour lequel Oreste maudit solennellement tous les dieux, c’est la vulgaire aventure d’avoir aimé sans être aimé ; et quant au crime d’avoir, par jalousie, laissé assassiner son rival (car le faible garçon n’a pas eu le courage de frapper lui-même), en quoi rend-il Oreste si intéressant ? Mais on sent qu’Antony et Didier parleraient comme lui, et s’enorgueilliraient de leur lâcheté comme d’une infortune sublime.

Oui, Oreste déjà porte en lui une tristesse soigneusement cultivée, une désespérance littéraire, une révolte vaniteuse, qui, cent cinquante ans après lui, éclateront dans la littérature romantique. Seulement, tandis que les romantiques crédules exalteront, sous le nom d’Antony ou de Trenmor, ce type de fou et de dégénéré et le prendront pour un héros supérieur à l’humanité, Racine, quelque