Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/206

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surtout d’Euripide, dialogue où le rythme soutient les familiarités du langage et, par sa continuité, permet de passer insensiblement de ces familiarités mêmes aux expressions les plus poétiques. Dans Bérénice, les vers écrits dans le ton de ceux que je vais citer ne sont point rares :

Non, je n’écoute rien. Me voilà résolue. Je veux partir ; pourquoi vous montrer à ma vue ? Pourquoi venir encor aigrir mon désespoir ? N’êtes-vous pas content ? Je ne veux plus vous voir. — Mais, de grâce, écoutez.— Il n’est plus temps.— Madame. Un mot.— Non.— Dans quel trouble elle jette mon âme ! Ma princesse, d’où vient ce changement soudain ? — C’en est fait. Vous voulez que je parte demain. Et moi j’ai résolu, de partir tout à l’heure, Et je pars.— Demeurez…

C’est parfaitement le ton de la comédie en vers de Molière dans ses plus nobles parties. Cela est même plus simple de style que, par exemple, le couplet d’Alceste jaloux au quatrième acte du Misanthrope. Mais tout de suite, et par le mouvement le plus naturel, la poésie reparaît :

— Ingrat ! que je demeure ? Et pourquoi ? Pour entendre un peuple injurieux Qui fait de mon malheur retentir tous ces lieux ? Ne l’entendez-vous pas, cette cruelle joie, Tandis que dans les pleurs moi seule je me noie ? Quel crime, quelle offense a pu les animer ? Hélas ! et qu’ai-je fait que de vous trop aimer ? …

Qu’avaient donc ces échauffés de romantiques à railler la « pompe » de la tragédie classique, eux, les plus emphatiques des écrivains ?