Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/232

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si tout le reste devait être détruit (supposition fort peu raisonnable), ce serait Andromaque, Bajazet et Phèdre, — et Bérénice, qui est à part.

Et sans doute je me contente d’exprimer ici des prédilections personnelles, et l’on peut me dire que ce n’est plus de la critique ; comme s’il n’y avait pas toujours, au fond et à l’origine de la critique, l’émotion involontaire de notre sensibilité en présence d’une œuvre, et cette simple et irréductible déclaration : « j’aime » ou « je n’aime pas » . Mais, au surplus, je pourrais ici donner des raisons. Andromaque, Bajazet, Phèdre me paraissent les trois drames où Racine est lui-même jusqu’au bout ; où il l’est avec hardiesse et violence ; les trois drames de la passion totale, qu’on n’avait pas faits avant Racine, et que je doute un peu qu’on ait refaits après lui. Andromaque, Bajazet, Phèdre ne sont que très partiellement influencés par les mœurs, le goût, les préjugés du XVIIe siècle. Au contraire, Mithridate et surtout Iphigénie me semblent les deux pièces où le poète s’est le plus plié, sciemment, ou non, aux mœurs et au goût de son temps, et à l’idée que ce temps se faisait de la beauté. Mithridate et Iphigénie sont, parmi les tragédies de Racine, les plus « pompeuses » (je ne donne pas à ce mot le sens un peu défavorable qu’il a pris, et qu’il n’avait pas alors) ; celles qui s’appareillent le mieux aux autres formes de l’art du XVIIe siècle, aux tableaux de Lebrun, aux statues de Girardon