Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/266

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difficile encore, la plus difficile de toutes : il brûle, il anéantit les œuvres commencées, — il les anéantit, les sachant belles. Ce qu’il tue en lui, ce n’est pas seulement la vanité, l’orgueil, l’amour de la gloire ; il cherche, tout au fond de lui-même, quelque chose de plus intime et de plus cher encore à immoler. Ce qu’il tue en lui, c’est l’attachement de l’artiste à son œuvre, le désir invincible de réaliser le beau qu’il conçoit. Et c’est ce sacrifice qui me paraît prodigieux. Un moment, il songe à se faire chartreux. Mais chartreux, c’est trop aisé. Puis il trouve sans doute que ce dénouement sentirait encore son homme de théâtre. Et alors il découvre un genre d’immolation plus humble : il se marie, il épouse une bourgeoise simple d’esprit, — non pas sotte (nous avons d’elle des lettres pleines de bon sens)— qui n’avait pas lu une seule de ses tragédies. Son fils Louis nous dit ce mot admirable : « L’amour ni l’intérêt n’eurent pas de part à ce choix. » Et désormais « l’auteur » est bien mort en lui. Le chrétien écrira un jour Esther et Athalie ; mais l’auteur, c’est-à-dire la bête la plus vivace, la plus longue à mourir et la plus prompte à ressusciter que nous portions dans nos entrailles, se taira pour toujours.

Ce sacrifice inouï, Racine le fait un peu par dégoût, beaucoup par scrupule, peut-être par remords.


Par dégoût.— Jamais écrivain, je ne dis pas à propos de religion ou de politique, mais à propos