Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/327

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qui fait la dignité morale de l’homme, c’est qu’il est l’aboutissement, le produit et le représentant d’une série infinie d’efforts. De même, ce qui fait la dignité esthétique des personnages de Racine, c’est qu’ils sont représentatifs, eux aussi ; représentatifs d’époques passées, et de pays lointains, et de plusieurs époques, et de plusieurs civilisations. Et ce que Racine appelle leur « dignité », nous l’appelons leur « poésie », et c’est par là que ses femmes criminelles sont autre chose que des héroïnes de feuilleton, et ses princesses vertueuses autre chose que d’excellentes petites filles.

La poésie, nous la trouvons encore en ceci, que chacun de ses sujets éveille en lui une « vision » ; que chacune de ses tragédies se meut dans une atmosphère historique, légendaire ou mythologique qui lui est propre et, par suite, n’est plus seulement une tragédie, mais un poème. Et cela est toujours plus manifeste, à mesure que Racine avance dans son œuvre ; et c’est pourquoi je suis désolé qu’il n’ait point fait une Alceste, ou qu’il l’ait détruite.

Et c’est par tout cela que ses tragédies nous font tant de plaisir. Elles prêtent indéfiniment au souvenir et au rêve.— Il est fort difficile de relire une pièce d’intrigue, une fois qu’on la connaît. Quant aux comédies ou drames d’amour, quelques-uns de ceux du XIXe siècle peuvent, un moment, nous mordre pu nous secouer plus fort, parce que nous y voyons des êtres voisins de nous, et aussi par la