Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/138

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de durer et prend plaisir à se figurer les différents états d’esprit et de conscience qu’elle a jadis traversés. La critique même, qui tant de fois l’attriste, s’applique à machiner pour elle ces résurrections qui l’amusent. Et la critique y est aidée par une sorte de mémoire obscure des temps où nous ne vivions pas encore, et d’aptitude à les imaginer. Comme notre corps, avant de voir le jour, a parcouru successivement tous les degrés de la vie, à commencer par celle des mollusques, et continue de renfermer les éléments de ces organisations incomplètes qu’il a dépassées, ainsi l’âme moderne semble faite de plusieurs âmes, contient, si l’on peut dire, celles des siècles écoulés, et nous ressaisissons en nous, quand nous voulons y faire effort, un Arya, un Celte, un Grec, un Romain, un homme du moyen âge.

Par exemple, Rousseau et ceux de son École se refaisaient primitifs et « sauvages ». Les hommes de la Révolution revivaient les premiers temps de la république romaine. De l’exactitude de ces résurrections intérieures, je ne dirai rien maintenant. Les poètes de la Pléiade croyaient chanter en Grèce, aux fêtes de Bacchus, ou à Tibur, sous la vigne d’Horace. Aujourd’hui la critique nous rend ces commerces plus aisés et plus attrayants : toutes les époques, mieux connues et reconstituées avec leur couleur propre et dans leur originalité, nous attirent tour à tour, et nous vivons avec tous nos ancêtres humains.

Surtout nous aimons vivre avec les Grecs et nous