Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/263

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brutal et triste des instincts aveugles, des passions grossières, des amours charnelles, des parties basses et répugnantes de la nature humaine. Ce qui l’intéresse dans l’homme, c’est surtout l’animal et, dans chaque type humain, l’animal particulier que ce type enveloppe. C’est cela qu’il aime à montrer, et c’est le reste qu’il élimine, au rebours des romanciers proprement idéalistes. Eugène Delacroix disait que chaque figure humaine, par une hardie simplification de ses traits, par l’exagération des uns et la réduction des autres, peut se ramener à une figure de bête : c’est tout à fait de cette façon que M. Zola simplifie les âmes.

Nana offre un exemple éclatant de cette simplification. Qu’est-elle qu’une conception a priori, la plus générale et par suite la moins ragoûtante, de la courtisane ? Nana n’est point une Manon Lescaut ou une Marguerite Gautier et n’est point non plus une Mme Marneffe ou une Olympe Taverny. Nana est une belle bête au corps magnifique et malfaisant, stupide, sans grâce et sans cœur, ni méchante ni bonne, irrésistible par la seule puissance de son sexe. C’est la « Vénus terrestre » avec de « gros membres faubouriens ». C’est la femme réduite à sa plus simple et plus grossière expression. Et voyez comment l’auteur échappe par là au reproche d’obscénité volontaire. Ayant ainsi conçu son héroïne, il était condamné par la logique des choses à écrire le livre qu’il a écrit : n’étant ni spirituelle, ni méchante, ni