Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/281

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voyait seulement les trous de bouches noires chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite, et cette hache unique, qui était comme l’étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d’un couperet de guillotine…

La colère, la faim, ces deux mois de souffrances et cette débandade enragée au travers des fosses avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montson. À ce moment, le soleil se couchait ; les derniers rayons, d’un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors la route sembla charrier du sang ; les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignant comme des bouchers en pleine tuerie…

Pourtant il fallait bien que le drame se concentrât dans quelques individus : le poète nous a donc montré, du côté des ouvriers la famille Maheu et son « logeur » Étienne, du côté de la Compagnie la famille Hennebeau, et dans les deux camps une quarantaine de figures secondaires ; mais toujours, autour de ces figures, la multitude grouille et gronde. Étienne lui-même, le meneur de la grève, est plus entraîné qu’il n’entraîne.

Ces têtes qui un moment émergent et se distinguent de la foule, c’est Maheu, le brave homme, le ruminant résigné et raisonnable qui peu à peu devient enragé ; — la Maheude avec Estelle, sa dernière, toujours pendue à sa mamelle blême, la Maheude à qui