Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/321

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de la donnée, la vision très nette et un peu fiévreuse des détails infimes de la vie extérieure, un atroce sentiment de la platitude et de l’ennui de l’existence, un style brusque, inégal et violent, voilà ce qui frappe déjà dans Sac au dos et ce que vous retrouverez dans les autres romans de M. Huysmans.

C’était le temps héroïque du roman naturaliste, le temps où beaucoup croyaient (et quelques-uns le croient encore) que la peinture exclusive et farouche des hideurs de la réalité est le dernier mot de l’art. Dès lors, quel meilleur sujet que l’histoire d’une fille hystérique dans le Paris populaire ou bohème ? Marthe, dépravée de bonne heure, est chanteuse de café-concert, traverse une maison de filles, se partage entre un vieux cabotin de Bobino et un homme de lettres, vit quelque temps avec l’artiste qui se lasse d’elle, puis avec le cabot, devenu marchand de vin et qui la bat quand il est ivre. Entretenue un moment par un imbécile qui l’ennuie et qu’elle lâche, elle rentre enfin, éreintée, abrutie, dans la maison de joie. Le cabot alcoolique finit par l’hôpital, l’homme de lettres par le mariage.

Voici maintenant les Soeurs Vatard : Céline qui fait la noce, Désirée qui est sage et rêve d’un honnête mariage. Toutes deux, bonnes filles. Céline a d’abord pour amant Anatole, un alphonse loustic, puis le peintre impressionniste Cyprien Tibaille, qui l’aime parce qu’elle est « peuple », tout en souffrant de sa bêtise et qui la traite du reste comme un être