Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/333

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beaucoup de rêves, d’illusions, de vagues croyances et ce qu’on appelait la mélancolie. Aujourd’hui René n’est plus mélancolique, il est morne et il est âprement pessimiste. Il ne doute plus, il nie ou même ne se soucie plus de la vérité. Il ne sent plus d’inégalité entre son désir et son effort, car sa volonté est morte. Il ne se réfugie plus dans la rêverie ou dans quelque amour emphatique, mais dans les raffinements littéraires ou dans la recherche pédantesque des sensations rares. René avait du « vague à l’âme » ; à présent « il s’embête à crever ». René n’était malade que d’esprit : à présent il est névropathe. Son cas était surtout moral : il est aujourd’hui surtout pathologique.

Vous trouverez la plupart de ces traits chez des Esseintes. Il représente en plus d’un endroit « l’ennuyé » d’aujourd’hui. Par malheur beaucoup d’autres traits font de lui un simple maniaque, un fou d’une espèce particulière, une figure absolument spéciale et exceptionnelle, et dont la peinture a trop souvent l’air d’un jeu d’esprit un peu lourd, d’une gageure laborieuse. Jugez plutôt.

Des Esseintes, éreinté par des excès de toutes sortes et atteint d’une maladie nerveuse, se retire dans une solitude aux environs de Paris pour y goûter les douceurs d’une vie entièrement artificielle.

Cette vie, il l’a commencée déjà. Il a aimé une femme ventriloque pour le plaisir d’avoir peur quand elle parlait du ventre au milieu de leurs ébats. Une