Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/336

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la carapace. Puis il ouvre une armoire à liqueurs et se compose une symphonie de saveurs, chaque liqueur correspondant à un instrument : le curaçao sec à la clarinette, le kummel au hautbois, l’anisette à la flûte, le kirsch à la trompette, le gin au trombone. Après quoi il regarde ses tableaux et ses estampes : deux Salomés de Gustave Moreau, des planches de Luyken, représentant des supplices de martyrs, des dessins d’Odilon Redon : « Une araignée logeant au milieu de son corps une face humaine, un énorme dé à jouer où cligne une paupière triste. » Puis il se rappelle son passé, son enfance chez les Jésuites. Il fait un peu de théologie et revient, en passant par l’Imitation, aux conclusions de Schopenhauer.

Un jour il se fait apporter une collection d’orchidées. Pourquoi ? Parce que ce sont « des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses ». Et il est ravi : « Son but était atteint, aucune ne semblait réelle ; l’étoffe, le papier, la porcelaine paraissaient avoir été prêtés par l’homme à la nature pour lui permettre de créer des monstres. » Beaucoup de ces plantes ont comme des plaies, semblent rongées par des syphilis. « Tout n’est que syphilis », songe des Esseintes. Sur quoi il a un cauchemar horrifique et très compliqué.

Il se donne alors un concert de parfums (comme tout à l’heure un concert de saveurs). Puis, comme il pleut, l’envie lui prend d’aller à Londres. Il part, achète un guide au Galignani’s Messenger, entre dans une bodéga pleine d’Anglais, y boit du porto, dîne,