Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/54

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de préface, n’ont pas été écrites d’après un plan arrêté d’avance. Mais il s’est trouvé que les sonnets où le poète, à vingt-cinq ans, contait au jour le jour sa vie intérieure pouvaient être rangés sous ces quatre titres : Amour, Doute, Rêve, Action ; et le poète nous les a livrés comme s’ils se rapportaient à quatre époques différentes de sa vie. La vérité est qu’il a l’âme assez riche pour vivre à la fois de ces quatre façons.

Les sonnets d’Amour sont plus sombres et plus amers que les pièces amoureuses du premier volume : le travail de la pensée a transformé la tendresse maladive en révolte contre la tyrannie de la beauté et contre un sentiment qui est de sa nature inassouvissable. (Inquiétude, Trahison, Profanation, Fatalité, Où vont-ils ? L’Art sauveur.) — Les sonnets du Doute marquent un pas de plus vers la poésie philosophique. Voyez le curieux portrait de Spinoza :

 C’était un homme doux, de chétive santé…

et le sonnet des Dieux, qui définit le Dieu du laboureur, le Dieu du curé, le Dieu du déiste, le Dieu du savant, le Dieu de Kant et le Dieu de Fichte, tout cela en onze vers, et qui finit par celui-ci :

 Dieu n’est pas rien, mais Dieu n’est personne : il est tout.

et le Scrupule, qui vient ensuite :

  Étrange vérité, pénible à concevoir,
  Gênante pour le cœur comme pour la cervelle,
  Que l’Univers, le Tout, soit Dieu sans le savoir