Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/56

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défini, est plus cruel à sentir. Les Werther et les Rolla priaient sans trop savoir qui ni quoi ; le poète des Épreuves n’a plus même cette consolation lyrique :

  Je voudrais bien prier, je suis plein de soupirs…
  J’ai beau joindre les mains et, le front sur la Bible,
  Redire le Credo que ma bouche épela :
  Je ne sens rien du tout devant moi. C’est horrible.

Ce ne sont plus douleurs harmonieuses et indéfinies. Le poète dit la plaie vive que laisse au cœur la foi arrachée, la solitude de la conscience privée d’appuis extérieurs et qui doit se juger et s’absoudre elle-même (la Confession) :

  Heureux le meurtrier qu’absout la main d’un prêtre…
  J’ai dit un moindre crime à l’oreille divine…
  Et je n’ai jamais su si j’étais pardonné.

Il dit les involontaires retours du cœur, non consentis par la raison, vers les croyances d’autrefois (Bonne mort) :

  Prêtre, tu mouilleras mon front qui te résiste.
  Trop faible pour douter, je m’en irai moins triste
  Dans le néant peut-être, avec l’espoir chrétien.

Il dit les inquiétudes de l’âme qui, ayant répudié la religion de la grâce, aspire à la justice. Il entend, bien loin dans le passé, le cri d’un ouvrier des Pyramides ; ce cri monte dans l’espace, atteint les étoiles :

  Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice,
  Et depuis trois mille ans, sous l’énorme bâtisse,
  Dans sa gloire Chéops inaltérable dort.