Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/86

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capable d’embrasser le monde et d’aimer chèrement une fleur ; toutes les délicatesses, toutes les souffrances, toutes les fiertés, toutes les ambitions de l’âme moderne : voilà, si je ne me trompe, de quoi se compose le précieux élixir que M. Sully-Prudhomme enferme en des vases d’or pur, d’une perfection serrée et concise. Par la sensibilité réfléchie, par la pensée émue, par la forme très savante et très sincère, il pourrait bien être le plus grand poète de la génération présente.

Un de ses « amis inconnus » lui adressait un jour ces rimes :

  Vous dont les vers ont des caresses
  Pour nos chagrins les plus secrets,
  Qui dites les subtils regrets
  Et chantez les vaines tendresses,

  Ô clairvoyant consolateur,
  Ceux à qui votre muse aimée
  A dit leur souffrance innommée
  Et révélé leur propre cœur,

  Et ceux encore, ô sage, ô maître,
  À qui vous avez enseigné
  L’orgueil tranquille et résigné
  Qui suit le tourment de connaître ;

  Tous ceux dont vous avez un jour
  Éclairé l’obscure pensée,
  Ou secouru l’âme blessée,
  Vous doivent bien quelque retour…

Ce retour, ce serait une critique digne de lui. Mais, pour lui emprunter la pensée qui ouvre ses œuvres, le meilleur de ce que j’aurais à dire demeure en moi malgré moi, et ma vraie critique ne sera pas lue.