Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/103

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Mais René Longuemare s’apaisera avec l’âge. Tous ces essais, ces expériences, ces sentiments successifs, maladie du désir, néo-hellénisme, amour des formes, curiosité, dilettantisme, pessimisme presque allègre, aboutissent à la suprême sagesse de M. Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut.

Sylvestre Bonnard est la gloire de M. Anatole France. C’est la figure la plus originale qu’il ait dessinée. C’est M. Anatole France lui-même tel qu’il voudrait être, tel qu’il sera, tel qu’il est peut-être déjà. Vieilli ? non pas : car d’abord, si l’esprit de M. Bonnard a soixante-dix ans, son cœur est resté jeune, il sait aimer. Et puis c’est l’homme d’un siècle où l’on est vieux de bonne heure. Sylvestre Bonnard résume en lui tout ce qu’il y a de meilleur dans l’âme de ce siècle. D’autres âges ont incarné le meilleur d’eux-mêmes dans le citoyen, dans l’artiste, dans le chevalier, dans le prêtre, dans l’homme du monde : le XIXe siècle à son déclin, si on ne veut retenir que les plus éminentes de ses qualités, est un vieux savant célibataire, très intelligent, très réfléchi, très ironique et très doux.

Et cette figure presque symbolique, M. Anatole France a su nous la montrer très vivante et très particulière. M. Bonnard est bien un vieux garçon, et qui a des manies de vieux garçon. Il est opprimé par sa vieille servante, qu’il respecte et qu’il craint. Il a un grand nez dont les mouvements trahissent ses émotions. Il a une faiblesse innocente pour les vins