Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/104

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loyaux et pour les viandes saines habilement préparées. Il a dans ses façons de parler un brin de pédantisme dont il est le premier à sourire. Il s’abandonne à des bavardages pleins de choses, comme un vieillard d’Homère qui aurait trois mille ans d’expérience en plus. Et le souvenir d’Homère vient d’autant mieux ici que, par un mélange des plus savoureux, M. Anatole France, tout nourri de lettres grecques, se plaît à imiter dans l’expression des sentiments les plus modernes l’élégance du verbe antique, et que le style de M. Bonnard rappelle tantôt l’Odyssée et tantôt les Économiques ou l’Œdipe à Colone. Ce sont bien les discours d’un Nestor qui, au lieu de trois pauvres petites générations, en aurait vu passer cent vingt.


II

Or, quels romans devait écrire M. Sylvestre Bonnard ? Précisément ceux de M. Anatole France. L’habitude de la méditation et du repliement sur soi ne développe guère le don d’inventer des histoires, des combinaisons extraordinaires d’événements. Même ce don parait de peu de prix aux vieux méditatifs (à moins qu’il ne soit porté à un degré aussi exceptionnel que chez le père Dumas, par exemple). M Sylvestre Bonnard ne pouvait donc pas écrire des romans d’aventure ni même des romans romanesques. Joignez à cela une peur de la rhétorique, de l’emphase d’expres-