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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/119

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J’étais heureux. Mille choses, à la fois familières et mystérieuses, occupaient mon imagination, mille choses qui n’étaient rien en elles-mêmes, mais qui faisaient partie de ma vie. Elle était toute petite, ma vie ; mais c’était une vie, c’est-à-dire le centre des choses, le milieu du monde. Ne souriez pas à ce que je dis là, ou n’y souriez que par amitié et songez-y : quiconque

vit, fût-il un petit chien, est au milieu des choses.

Le papier du petit salon où joue Pierre Nozière est semé de roses en boutons, petites, modestes, toutes pareilles, toutes jolies :

Un jour, dans le petit salon, laissant sa broderie, ma mère me souleva dans ses bras ; puis, me montrant une des fleurs du papier, elle me dit :

— Je te donne cette rose.

Et, pour la reconnaître, elle la marqua d’une croix avec son poinçon à broder.

Jamais présent ne me rendit plus heureux.

Je vous recommande aussi, comme des merveilles de psychologie enfantine, le chapitre d’Alphonse et de la grappe de raisin, et celui où Pierre, voulant se faire ermite et se dépouiller des biens de ce monde, jette ses jouets par la fenêtre :

— Cet enfant est stupide ! s’écria mon père en fermant la fenêtre.

J’éprouvai de la colère et de la honte à m’entendre juger ainsi. Mais je considérai que mon père, n’étant pas saint comme moi, ne partagerait pas avec moi la gloire des bienheureux, et cette pensée me fut une grande consolation.