Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/120

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Un des mérites les plus originaux du livre, c’est que l’enfant qui en est le héros est bien « au milieu du monde ». Les personnages qui traversent les chapitres, l’abbé Jubal, le père Le Beau, Mlle Lefort, sont bien vus par un petit enfant. Les histoires de grandes personnes, incomprises, incomplètement vues, comme des séries de scènes singulières qui ne se relient point entre elles, prennent des airs et des proportions de rêves. Voyez ce que devient dans un cerveau d’enfant l’histoire de la dame en blanc dont le mari voyage et qui est aimée d’un autre monsieur. Voyez surtout comment tourne au fantastique l’histoire de la jolie marraine, de Marcelle aux yeux d’or, la pauvre créature d’amour et de folie : apparition d’une fée très bonne, très capricieuse et très malheureuse. Et quelle douceur dans la pitié de l’homme s’épanchant, plus tard, sur la vision de l’enfant !

Pauvre âme en peine, pauvre âme errante sur l’antique Océan qui berça les premières amours de la terre, cher fantôme, ô ma marraine et ma fée, sois bénie par le plus fidèle de tes amoureux, par le seul peut-être qui se souvienne encore de toi ! Sois bénie pour le don que tu mis sur mon berceau en t’y penchant seulement ; sois bénie pour m’avoir révélé, quand je naissais à peine à la pensée, les tourments délicieux que la beauté donne aux âmes avides de la comprendre ; sois bénie par celui qui fut l’enfant que tu soulevas de terre pour chercher la couleur de ses yeux ! Il fut, cet enfant, le plus heureux et, j’ose le dire, le meilleur de tes amis. C’est à lui que tu donnas le plus, ô généreuse femme ! car tu lui ouvris, avec tes deux bras, le monde infini des rêves…