vait cette âme en lui. Or, cette neuve poésie où se
reflètent exactement des poésies antérieures et où
Chénier se complaisait ingénument, d’autres l’ont
recommencée avec plus de parti pris et un art plus
consommé. Notre siècle est curieux avec délices. Sa
gloire et sa joie, c’est de comprendre et de
ressusciter l’âme des générations éteintes, et sa plus grande
originalité consiste à pénétrer dans l’âme des autres
siècles. De croyance propre, il n’en a guère. Aussi, le
seul sentiment nouveau qu’il ait apporté dans la
littérature, c’est, avec la curiosité, le doute de l’esprit
se tournant en souffrance pour le cœur. Y a-t-il autre
chose dans le romantisme que la mélancolie de René
et l’amour de ce qu’on appelait en 1830 la couleur
locale, c’est-à-dire le sens de l’histoire avivé par la
passion des belles lignes et des belles couleurs ? Ces
deux sentiments, d’ailleurs, ou vont ensemble ou
s’engendrent tour à tour. Quand on sait ou qu’on
devine beaucoup, qu’on est d’une vieille race fatiguée
et sans naïveté, il peut arriver qu’on en souffre, et
ce malaise redouble l’ardeur de connaître et de sentir ;
il nous fait chercher l’oubli dans la curiosité
croissante ou dans une sorte de sensualisme esthétique.
Toute la poésie contemporaine est faite, semble-t-il,
d’inquiétude morale et d’esprit critique mêlé de
sensualité. L’inquiétude, vague avec les romantiques,
s’est peu à peu précisée : une poésie philosophique en
est sortie, et à la mélancolie d’OIympio ou de Jocelyn
a succédé la mélancolie darwiniste. Le poète de la
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LES CONTEMPORAINS.