Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/154

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aimait Corneille pour ses inégalités, ses excès et ses inconsciences ? La raison, quelle qu’elle soit, est sans doute la même qui fait qu’on préfère, au moins on le dit, Plaute à Térence, Michel-Ange à Raphaël, Bossuet à Fénelon, Hugo à Lamartine, etc., les forts aux doux, les excessifs ou les dissonants aux harmonieux.

C’est bien de préférer l’énergie et l’originalité saillante. Mais, dans quelques-unes des préférences de cette sorte, où ce qui représente le mieux le génie de notre race est mis au-dessous de ce qui le représente moins exactement, ne retrouverait-on pas la manie généreuse et bien française de faire bon marché de ce qui nous est propre pour embrasser ce qui porte un air extraordinaire ? Il est vrai qu’il est assez difficile de dire ce que c’est que le génie de notre race, cette race étant fort composite : on croit voir assez bien pourtant ce qui n’est décidément pas dans l’essence de ce génie.

Or, Corneille n’est-il pas, par bien des côtés, dans notre littérature, un esprit excentrique, d’une complexion singulière, obscure pour nous comme elle semble l’avoir été pour lui-même ? Il n’a presque point de tendresse ; il a rarement la mesure, le bon sens, la vision nette de la vérité humaine. Si dans un jour heureux il n’eût écrit le Cid (et quelques scènes d’Horace et de Polyeucte), quelle âme étrange ! et quel maniaque d’héroïsme emphatique et inhumain. Et croyez bien qu’il s’est repenti du Cid et qu’il l’au-