Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/173

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Ce qu’il y a de romantique, au meilleur sens du mot (qui n’est pas le plus juste), dans Bajazet, c’est l’intelligence de l’histoire et de la couleur locale, et c’est aussi la grande tuerie du cinquième acte. Je ne sais si M. Deschanel n’exagère pas un peu la turquerie de la pièce. La « couleur locale » chez Racine est un point sur lequel on reviendra et qui veut être traité dans des réflexions d’ensemble sur son théâtre. Mais, puisque l’ingénieux critique était en train, il aurait bien pu soutenir que Bajazet est tout aussi Turc que les autres. Bajazet veut bien mentir jusqu’à un certain point, mais non au delà ; il ne veut pas épouser une esclave par force ; il a le mépris absolu de la mort : tout cela fait un mélange intéressant, très humain, très oriental aussi si l’on veut ; mais il faut le vouloir.

Et Mithridate, pourquoi romantique ? Parce que Mithridate est à la fois un grand guerrier, un grand politique et un vieillard amoureux, jaloux, cruel, astucieux, et « qui plaide le faux pour savoir le vrai » dans des scènes « tragi-comiques[1] ». Et voilà maintenant que « romantisme » est synonyme de complexité des caractères.

Mais, d’autre part, le romantisme est aussi (que n’est-il pas ?) « la forme la plus actuelle de l’art, par conséquent l’appropriation des sujets anciens aux publics modernes, l’adaptation des faits d’autrefois aux croyances et aux sentiments présents »[2]. Donc Euri-

  1. I, pages 317, 327.
  2. II, p. 11.