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LES CONTEMPORAINS.

l’égoïsme humain. Il eut des jours difficiles et souffrit d’autant plus qu’il apportait dans la mêlée des compétitions féroces une âme déjà touchée de la grave songerie orientale. Les forces inéluctables qu’il avait reconnues, subies et parfois aimées dans la nature aveugle et magnifique, il les retrouvait dans la société des hommes, mais franchement haïssables cette fois, visiblement hostiles et méchantes. L’enfant s’insurgea contre l’égoïsme nécessaire, mais hideux, contre le bourgeoisisme impitoyable et rapace, contre la vie plate et malfaisante, contre les violences hypocrites et sans grandeur.

Il lut l’histoire. Il y vit l’homme en proie à deux fatalités : celle de ses passions et celle du monde extérieur. Elle lui apparut comme l’universelle tragédie du mal, comme le drame de la force sombre et douloureuse. Il lui sembla que l’homme, presque toujours, avait aggravé l’horreur de son destin par les explications qu’il en avait données, par les religions qui avaient hanté son esprit malade, prêtant à ses dieux les passions dont il était agité. Il se dit alors que la vie est mauvaise et que l’action est inutile ou funeste. Mais, d’autre part, il fut séduit par le pittoresque et la variété plastique de l’histoire humaine, par les tableaux dont elle occupe l’imagination au point de nous faire oublier nos colères et nos douleurs. Il entra par l’étude dans les mœurs et dans l’esthétique des siècles morts ; il démêla l’empreinte que les générations reçoivent de la terre, du climat et des ancêtres :