Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/186

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milieux. Les personnages les plus exotiques, vrais au fond, ont donc l’air de contemporains de Louis XIV, qui (avec le même langage et la même allure que les gentilshommes de cette époque) auraient seulement en plus quelques sentiments extraordinaires et originaux.

On voit déjà qu’ils ne sont pas entièrement faux. Serait-il possible de montrer sous quel jour ils peuvent paraître entièrement vrais, même quand leurs actes ont des siècles de plus que leurs manières ?

Remarquons d’abord qu’un contraste de ce genre doit forcément se rencontrer, plus ou moins accusé, dans toute tragédie. Car la tragédie vit d’actions excessivement violentes et brutales, de celles qu’on accomplit dans les moments où l’on redevient le pareil des fauves ou des hommes qui ont vécu aux époques primitives. Et, d’autre part, comme on veut que la forme soit belle, les personnages de la tragédie doivent parler le langage le plus savant, le plus élégant, le plus propre à nous plaire, à nous chez qui la brute est généralement endormie ou n’est plus capable de tels excès, et qui pouvons nous demander s’il est possible qu’elle se réveille chez des hommes si bien parlants. À ce compte, la tragédie serait un genre radicalement faux. Mais quel genre resterait debout ? C’est ici une convention nécessaire, que les acteurs, tout en agissant souvent comme des fous furieux, continuent de parler comme Euripide et Sophocle, quand Sophocle et Euripide s’appliquent à bien parler.