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Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/25

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LECONTE DE LISLE.


primitives vous apparaît dans un éclair. On songe au Ve livre de Lucrèce ; puis on se dit qu’il y a là autre chose encore qu’une intuition de poète, que la science contemporaine, l’archéologie, l’anthropologie, ont seules rendu possibles de pareilles résurrections, et que, de toutes façons, un tel poème sonne glorieusement l’heure exacte où nous sommes.


IV

Kaïn est un poème non de désespoir, mais d’espoir violent né de l’intensité même du désir. Il marque une aspiration d’un jour, une involontaire concession du poète à « l’illusion qui fait de nous sa pâture »[1] et qui, trompant sans cesse les efforts qu’elle suscite, ne permet point à la douleur de s’endormir. Il est bien jeune et bien naïf, le vieux Kaïn, et trop dupe de son bon cœur. Eh ! oui, les dieux passeront, mais après ? l’humanité en sera-t-elle plus heureuse ? Le Runoïa n’a pas l’ingénuité du premier meurtrier. — Et ce sera ton heure, dit-il au Christ.


                                   Et dans ton ciel mystique
Tu rentreras, vêtu du suaire ascétique,
Laissant l’homme futur, indifférent et vieux,
Se coucher et dormir en blasphémant les dieux[2].

  1. Les Spectres.
  2. Le Runoïa.