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LES CONTEMPORAINS.

L’éternel cri : « Je souffre, qu’ai-je fait ? » est une plainte d’enfant, stérile et vaine. Satan lui-même se demande à quoi bon.


Force, orgueil, désespoir, tout n’est que vanité,
Et la fureur me pèse et le combat m’ennuie[1].


Et le poète, avec le diable, descend, d’un mouvement fatal, aux dernières profondeurs de la tristesse, jusqu’à la désespérance qui ne veut plus lutter. Aux Morts, le Dernier souvenir, les Damnés, Fiat nox, In Excelsis, la Mort du soleil, les Spectres, le Vent froid de la nuit, la Dernière vision, l’Anathème, Solvet sæclum, Dies Iræ, tous ces poèmes, prodigieux par la magnificence et la dureté des lamentations, ne sont que prières à la Mort, effusions noires vers le néant. Je ne sais quel orgueil vient parfois les comprimer :


Tais-toi. Le ciel est sourd, la terre te dédaigne.
À quoi bon tant de pleurs si tu ne peux guérir ?
Sois comme un loup blessé qui se tait pour mourir
Et qui mord le couteau, de sa gueule qui saigne[2].


Ces plaintes ne servent de rien ; mais il ne sert de rien non plus de les retenir, et l’hymne lugubre se déroule à flots lents, si horriblement triste qu’auprès de cette tristesse-là celle de l’Ecclésiaste est d’un enfant et celle de René est d’un bourgeois. Et je ne sais si l’amour du néant est contagieux ou si cet

  1. La Tristesse du diable.
  2. Le Vent froid de la nuit.